Ce projet photographique, défend une cause féministe essentielle. La possibilité pour les femmes et les transgenres de récupérer leurs corps et se soustraire aux violences médicales, gynécologiques, obstétriques. Ce travail documentaire d’une grande sensibilité plastique, due à l’emploi de pellicules argentiques périmées de préférence, est l’association de portraits et du recueil de paroles. 
#RécupérerNosCorps.

La Fille Renne a un nom génial. Et elle est une photographe, réalisatrice, tatoueuse, autrice féministe qui a fait choix de la pellicule argentique comme moyen d’expression. "J’aime photographier la communauté queer, les gens, l’intimité, des curiosités, mes voyages et mes chats" dit-elle. Arrêtons-nous dans un premier temps sur ce choix formel de la pellicule, car, à notre sens, il y a une grande beauté plastique dans les images que produit La fille Renne. Puis nous la laisserons exposer elle-même le fond de son projet dans la suite de ce post, car sa présentation est très claire. Elle n’utilise donc que de la pellicule argentique - de préférence même périmée - car elle aime que la matière du médium soit bien visible. Les pellicules périmées ont souvent une sensibilité aléatoire, des couleurs qui virent dans une teinte, pour résultat un peu hasardeux mais toujours intéressant. Elle ne nettoie rien, et cherche un rendu brut de la matière-pellicule avec ses poussières, son grain, ses rayures. Pour cela, elle a une préférence pour des appareils photographiques rudimentaires ou anciens, aux performances moins certaines et précises. Pour les intéressés, elle a une bonne expertise en appareils anciens, simples et abordables qu’elle détaille dans sa "review argentique", un blog bien documenté.
Auto-portrait :

Elle est très radicale également par le sujet de ses prises de vues, puisqu’elle n’hésite pas à capturer des corps dénudés, déformées, abimés, en cours de transformation, et ce, dans tous leurs détails exposés, vulves, cicatrices, poils. Son choix de la pellicule met une sorte de voile doux et organique sur les participantes sans pour autant adoucir son propos, au contraire du numérique qui aurait rajouté de la crudité à l’explicite.

Elle est la co-créatrice avec Raphaëla Icguane de Polysème Magazine, une magazine papier qui traite de féminisme, de photographie argentique et d’arts de façon générale. 
Dans ce projet #RécupérerNosCorps, comme femme impliquée et concernée, elle construit un inventaire des violences institutionnelles et médicales - en particulier gynécologiques - infligées au corps des femmes et des transgenres. Ce travail - toujours en cours -  recueille à la fois la parole et les images de personnes avec des témoignages vécus forts. Ces pratiques qui doivent cesser, ciblent et atteignent en profondeur les corps de femmes et de transgenres uniquement

La Fille Renne : "Le sexisme et la misogynie sont à l’origine de violences et abîment nos corps et nos sexes même dans le domaine de la santé. Le corps médical et plus particulièrement les domaines gynécologiques et obstétriques sont des outils du patriarcat afin de contrôler nos corps, notre reproduction et notre sexualité. On s’intéresse moins à notre santé et à notre bien-être qu’à notre travail reproductif et aux injonctions auxquelles nous devons nous plier".

La Fille Renne : "Ce travail, résolument féministe et réalisé par une personne concernée par ces questions, aborde ce sujet au-travers d’un prisme intersectionnel et inclusif. Ce travail est réalisé en collaboration avec l’autrice Raphaëla Icguane et est destiné à être publié chez Polysème Magazine dans un livre qui présentera à la fois l’essai, qui est en rédaction depuis mars 2020, les témoignages et les photographies. Afin d’illustrer cet essai je réalise une série de photographies en collaboration avec des personnes concernées par ces violences et réappropriations.
Le choix du médium (photographies argentiques) entraînera une diversité des rendus, plus ou moins fidèles à la réalité, avec l’utilisation éventuelle de techniques alternatives".

La Fille Renne : "Cet essai présente toutes les violences auxquelles une personne ayant une vulve peut être confrontée au cours de sa vie en France aujourd’hui - et pas que, d’ailleurs, car une personne sans vulve sous traitement hormonal peut aussi y être confrontée - en lien avec sa santé génitale. Il s’agit des violences gynécologiques et obstétricales dont le hashtag #PayeTonUtérus a permis aux personnes concernées de libérer leur parole depuis 2014". 

La Fille Renne : "Il s’agit également de mettre en lumière les violences d’un système de santé et d’un système de recherches qui se développent au sein d’une société qui a un réel désintérêt pour les problèmes de santé et d’hygiène des femmes et autres personnes concernées : recherches tardives sur nos organes génitaux, pas de développement de soins spécifiques, adaptés et sans danger, des errances diagnostiques et thérapeutiques". 

La Fille Renne : "Les violences systémiques d’un système capitaliste qui nous vend des produits toxiques en utilisant des injonctions envers nos corps sont aussi traitées : des produits d’hygiène intime inutiles et nocifs, aux protections périodiques contenant des composants néfastes, en passant par les dérives des applications permettant de suivre son cycle menstruel.
Enfin, ce travail, qui s’inscrit dans une longue lignée de travaux militants, présente les réappropriations féministes des savoirs gynécologiques par les concerné-e-s, afin de pallier les manques et lutter contre ces violences : "self-help", mise en commun des connaissances, organisation entre nous, recherche de solutions de soins alternatives, dénonciation des violences".

La liste de témoignages spécifiques qu’elle continue à chercher est consultable sur son Instagram.
La Fille Renne : "Ces photographies traitent de différents sujets liés à l’essai et illustrent déjà une cinquantaine de témoignages portant sur :
L’injonction à cacher les vulves, l’injonction à cacher les menstruations et les protections périodiques, l’utilisation d’infusions contre les douleurs menstruelles, les violences enbyphobes (la peur exprimée à l'encontre des personnes non binaires), la mastectomie, les violences gynécologiques, les violences obstétricales, les actes sans consentement, les effets secondaires des contraceptions, les mauvaises prises en charge suite à un viol, la non prise en compte de la douleur, les violences grossophobes, le HPV (Human Papilloma Virus ou papillomavirus humain), les procédures médicales non adaptées à tous les corps, la stérilisation choisie, la grossesse, les soins par les plantes, l’IVG, la comparaison avec l’Allemagne, la pose de DIU ("dispositif intra-utérin" couramment appelé "stérilet"), le SOPK (Le syndrome des ovaires polykystiques est la maladie hormonale la plus fréquente chez les femmes), l’injonction à avoir un cycle menstruel, la réappropriation, le point du mari, la chirurgie réparatrice, les violences verbales, les violences transphobes, la nymphoplastie (la chirurgie esthétique des petites lèvres), l’injonction à cacher l’éjaculation de la vulve, les errances thérapeutiques, les infections urinaires à répétition, l’endométriose, la désinformation, la culpabilisation, le manque d’accompagnement post-IVG, l’auto-gynécologie, l’injonction à une peau imberbe"…

Pour suivre l’avancée du projet, sur son Instagram, la Fille Renne publie au fur et à mesure la teneur de ses entretiens et portraits. 
Comme celui-ci accompagné du portrait ci-dessus : 
La Fille Renne : "Pour #RecupererNosCorps, @filledacote a laissé pousser sa plus belle moustache. On a parlé de violences grossophobes marquées et répétées dans l'enfance et l'adolescence tout au long de son parcours médical, qui l'ont rendu-e très "docile"/"tolérant-e" vis-à-vis des violences dans la suite de son parcours, et donc aussi des violences gynécologiques
Le fait que le système médical puisse nous faire détester notre propre corps, nous rend beaucoup plus vulnérable aux violences médicales, sexuelles, etc. 
On a aussi parlé de son appendicectomie par cœlioscopie (technique de chirurgie permettant d'accéder à l'intérieur de l'abdomen par de petites incisions de la paroi abdominale), pour laquelle on lui a fait une incision de trop en bas du pubis. Le chirurgien, en post-opératoire, lui a fait une remarque sur son utérus et ses ovaires. On ne saura jamais pourquoi, ni ce qui a pu se passer, ni si cela était nécessaire et/ou prévu.
Une anesthésie nous rend totalement vulnérable, et je trouve ça incroyable qu'il n'y ait pas eu plus de communication. Aucun compte rendu ne lui a été fait". 

Ou encore cet autre témoignage :
La Fille Renne : "En juin j'ai rencontré l'adorable May (portrait ci-dessus), qui m'a passé commande pour un shooting pour se réapproprier son corps et son image.
On a notamment parlé de la lesbophobie qu'elle a vécu très jeune, particulièrement en contexte familial, qui ont conduit à des TCA (troubles du comportement alimentaire).
Merci May pour ta confiance et pour m'avoir laissé-e immortaliser ton image sur cette pellicule vieille de 50 ans. Dans un contexte où les prises de parole de l'Education Nationale et des gros médias comme Le Figaro se multiplient autour de discours "anti-wokisme" et de "lutte contre le lobby LGBT", il est essentiel de rappeler qu'il faut absolument protéger nos jeunes et créer des environnements où iels peuvent être pleinement qui iels sont. Parce que les conséquences des violences contre les personnes lgbtqi+ sont toutes dramatiques". 

Presque chaque photographie sur son site est disponible à la vente en tant que tirage.
Nous vous invitons aussi à la visiter et parcourir le reste de son passionnant travail photographique.