Sofie Birkin est une illustratrice engagée qui met son travail d’artiste au service de la visibilisation des minorités queer. À cheval entre deux mondes, les Beaux-Arts et la publicité, entre illustrations personnelles et projets pour des grandes marques (Nike, Apple), Sofie tente intelligemment de changer les choses de l’intérieur, consciente du fort pouvoir d’action qu’elle possède pour impacter l’imaginaire collectif, notamment dans le milieu encore frileux du marketing. Dès qu’elle le peut elle incorpore dans ses dessins commerciaux celles et ceux qui l’entourent dans sa vie personnelle, cette communauté LGBTQ joyeuse et libre qui ne s’excuse plus d’exister. L’artiste a également illustré deux livres aux thèmes importants, The Art of Drag et Sex Ed: A Guide for Adults. On aborde avec elle le pouvoir de l’illustration dans la lutte intersectionnelle, un sujet on ne peut plus actuel pour nous en France, avec ces attaques  reçues par le Planning Familial suite à sa dernière campagne de pub représentant un homme transgenre enceint. Sofie pourrait reprendre à son compte ces mots du Planning Familial, : « La lutte sera intersectionnelle ou ne sera pas »

Sofie Birkin : " L'illustration est une pratique à la frontière entre le design et les beaux-arts, ce qui donne accès à la puissance de ces deux mondes. L’illustration est donc un moyen essentiel pour communiquer des informations avec esthétisme. C’est une pratique démocratique, dans le sens où l’illustration doit être facilement comprise et interprétée par le spectateur. Elle est souvent plus accessible que les beaux-arts traditionnels, ce qui la rend puissante, et plus encore dans l’ère numérique dans laquelle nous sommes. En tant qu’artistes, nous devons nous efforcer de créer de meilleures représentations de la diversité, en sachant que si elles trouvent un écho auprès du public, nos illustrations seront facilement partageables et pourront ainsi se démarquer, et peut-être entrer enfin dans une conscience culturelle élargie. "

Sofie Birkin : " Je pense que les personnes qui n'appartiennent pas à des groupes marginalisés ont tendance à voir l'inclusion de personnes “autres” comme surreprésentées, même lorsqu'elles sont minoritaires. Au début de ma carrière, alors que j'avais beaucoup moins de pouvoir sur ce que je créais, j'étais souvent interpellée par des clients qui qualifiaient d’"irréaliste" la diversité que je représentais dans mes illustrations. Aussi légitimes que soient les critiques autour du “Rainbow Capitalism” (ici), il faut quand même rappeler que l'inclusivité est toujours considérée comme frivole et controversée dans une grande partie du monde du marketing. Les personnes queer n'ont pas eu beaucoup de visibilité historiquement, et bien que la représentation ne soit qu'une petite pierre dans la lutte pour la libération et l'équité intersectionnelles, c'est la partie sur laquelle j'ai un certain pouvoir en tant qu’artiste. L'illustration commerciale est mon travail à temps plein et désormais, je suis souvent sollicitée pour ces thématiques que je défends. "

Sofie Birkin : " Il est important qu'illustrateurs et designers tiennent compte de l'inclusion de toutes les personnes, que nous soyons en relation avec elles ou non, mais il est encore plus important pour l'industrie elle-même de considérer véritablement les illustrateurs qu'ils embauchent pour un projet. En tant que personne queer, ces personnes sont celles qui m’entourent tous les jours. C’est ma communauté et ce depuis plus d’une dizaine d’années. Même si je travaille d’autres thématiques, je donnerais toujours cette priorité à l’inclusion LGBTQ+, tout simplement parce que c’est la réalité de ma vie. Pouvoir représenter votre propre communauté avec un amour et une compréhension authentique est la meilleure façon d’atteindre l’intégrité dans votre pratique. "

Pour elle, l’illustration est aussi une arme efficace pour parler en douceur de la sexualité

Sofie Birkin : " Le sexe fait partie intégrante de la vie, nous ne rendons service à personne en refusant d'en parler. Le sexe doit être joyeux, gratifiant et évidemment “safe”, et nous ne pouvons y arriver qu'en étant éduqués et à l'aise avec le sujet. Les représentations artistiques du sexe et de l'érotisme sont souvent très partielles, biaisées. En grandissant, on se sent vite aliéné, honteux, pas sexy ou au contraire hyper-sexualisé, avec les médias qui établissent une vision très étroite de ce que devrait être le sexe et de qui devrait y avoir droit. Je veux vraiment renforcer l'idée que nous méritons tous d'embrasser notre sensualité, peu importe à quoi elle ressemble. "

Sofie Birkin : " J'ai définitivement une imagination débordante, ce qui me permet de toujours trouver l’inspiration, et j'ai toujours aimé développer des personnages dans ma tête. Mais j'ai aussi une vie bien remplie, entourée de personnes inspirantes, qui, bien sûr, surgissent de temps en temps dans mes illustrations, que ce soit pour un portrait très littéral ou une expression, un style que j’incorpore à un dessin. " 

Sofie Birkin : " Pour ce qui est de mon style en tant que tel, je crois qu’il est né de l’influence de mes parents, qui sont très tournés vers le design, et ont vraiment un langage visuel bien à eux, entre simplicité et éléments pop-art. Ce qui donne par exemple un vase géant en chinoiserie avec de fausses roses surdimensionnées, le tout présenté devant un mur blanc clairsemé. Ou un miroir encadré de dorures sur une chaise moderne milieu XIXe. J’ai grandi avec tout ça. Combiné au fait d’avoir travaillé pour une agence de graphisme pendant quatre ans, cela m’a vraiment donné le goût des détails, de la composition et des couleurs pour transmettre un message. Mon inspiration visuelle vient d'éléments très variés : le fauvisme, les photographies de mode contemporaine, les éléments de l’Americana sur le bord de la route, les Marginalias de l’art médiéval, tout ce qui touche au sensible. "

Installation "Daydreamers"

Sofie Birkin : " "Daydreamers" est un collage-installation richement détaillé de personnages imposants plongés dans leurs rêves et leurs fantasmes, qui souligne l'importance de nourrir l'imagination. L'échelle gigantesque de l'œuvre oblige les visiteurs à se confronter à des images de femmes et de personnes au genre expansif, qui possèdent leur propre monde intérieur et ne sont pas créées comme des objets de beauté destinés à la consommation. C'est une tapisserie d'identité et d'expérience, combinée à l'immersion sensorielle, qui vise à créer un espace d'autonomisation où les personnes historiquement marginalisées par le canon occidental peuvent se sentir fières, représentées et chéries. "

Installation "Daydreamers"

Sofie Birkin : " Mon concept s'est nourri d'expériences personnelles qui m'ont motivée tout au long de la production. Mes amitiés, en particulier avec les femmes, sont l'une des forces les plus importantes de ma vie. Lorsque j'étais à peine plus qu'une enfant, j'ai vécu une relation très violente avec un homme qui m'a isolée de mes amis. Pour faire face à cette situation, je me perdais dans des rêves d'un groupe de femmes courageuses et gentilles qui viendraient me sauver, et j'ai fini par les trouver - les meilleures amies que j'ai jamais eues, qui m'ont donné le courage et le soutien dont j'avais besoin pour partir. Cette chambre est pour Camilla, Jasmine et Nayab, pour mes vieux rêves éveillés, et un testament à la résilience pour laquelle je me suis battue. "

Sofie Birkin dans l'Installation "Daydreamers"

Sofie Birkin : " En ce qui concerne l’aspect technique de mon travail, j'utilisais jusqu’à récemment une tablette Wacom, mais ces jours-ci, je suis connectée en permanence à mon iPad - j'utilise principalement Procreate et Adobe Fresco. Je suis également muraliste (avec de la bonne peinture à l'ancienne) et j'aime aussi beaucoup créer de l'art textile. "

Sofie Birkin : " Je suis totalement amoureuse du travail de l’artiste Liza Lou, qui crée de grandes sculptures en perles sur le thème du travail domestique, de l'artisanat genré et de la communauté. Son œuvre de 1996 Kitchen est une cuisine grandeur nature entièrement perlée, qu'elle décrit comme " un monument aux femmes ". J'encourage vraiment tous ceux qui lisent cet article à aller la découvrir ! Dans ma pratique personnelle, ce sont exactement les thèmes que j'aimerais explorer - je crée d’ailleurs actuellement une série de tapisseries en tissu explorant ce chevauchement entre le travail domestique et la féminité, l'Americana et l'artifice. "

Liza Lou - Fire, 2002

Pour prolonger le sujet, en cette période de rentrée littéraire, je vous conseille de foncer découvrir Laisse tomber la nuit, le premier roman lumineux d’Agnès Mascarou, jeune autrice de 29 ans qui explore le monde du Drag parisien, dans une quête poétique de liberté et d’émancipation des genres établis.