Cela fait déjà deux ans que je suis le travail de Romy Alizée, découverte à la lecture de l’essai de la journaliste Pauline Verduzier, Vilaines filles. Les travailleuses du sexe, les clientes et la journaliste”, sorti en 2020 et illustré par un des autoportraits de Romy. Elles font partie de la même génération, celle qui casse les codes, « dé-tabouise » le sexe. Pauline Verduzier livre une enquête fouillée, complète et sans jugement sur le travail du sexe, s’impliquant personnellement dans son sujet, avec une écriture très honnête, à la première personne. Romy Alizée, dans ses prises de position, à travers ses autoportraits et ses performances, s’expose, brave la censure et le mépris de classe pour transformer notre vision du trash, nous montrer que d’autres rapports au corps et à la sexualité sont possibles et à inventer. Autodidacte, grande fan de cinéma, elle a tout appris seule, en lisant, en essayant, tout en réalisant à travers la photographie son coming out lesbien. Aujourd’hui, elle signe les pages portraits de Libé et a monté en septembre sa première exposition solo au Point Éphémère, Warm Inside. On revient avec elle sur la manière dont tout a commencé. 

Romy Alizée : " J’ai été modèle pendant très longtemps, et j’ai eu envie au bout d’un moment de faire mes propres photos, mais je n’osais pas forcément. Quand j'étais plus jeune, c’était une source de frustration de ne pas être le genre de filles qu’on pouvait prendre en photo. Je n’avais pas très confiance en moi, je n’étais pas une gamine très bien dans sa peau, et j'avais pour modèles des femmes à l’allure très sulfureuse. J’ai eu envie de faire pareil. Plus ça allait, plus je me disais « pourquoi pas moi ? ». J’ai donc commencé à poser à l’âge de 20 ans, à mon arrivée à Paris. Cela n’a pas forcément été facile, j’étais perçue comme la grosse du milieu, toujours entourée de personnes super minces. Je n’ai toujours pas le physique d’un mannequin, mais poser, c’est ce que j’ai trouvé de plus bénéfique pour ma confiance en moi. C’était une manière d’oser, je ne voulais pas abandonner. Et j’ai bien fait. "

Marine

Romy Alizée : " Quand j’ai voulu commencer à prendre des photos, c’était aussi par dégoût de ce que j’avais vu. Je n’en pouvais plus de voir poser toujours les mêmes femmes quasiment mannequins. J’avais un tel besoin de voir autre chose que j’y suis allée naturellement, en proposant aux gens autour de moi. Je voulais créer une rupture avec ce monde dans lequel j’ai évolué vers mes vingt ans, montrer que d’autres gens existent, et mettre au service des gens qui allaient poser pour moi ce que j’avais appris, en ne photographiant pas comme ceux pour qui j’avais posé. Je souhaitais aussi réfléchir à la manière de créer des séances agréables. Mon truc, c’est d’être très naturelle, je fais des blagues, je parle de choses qui n’ont rien à voir. Je veux montrer à celleux qui posent qu’on peut aussi penser à autre chose, et oublier l’objectif. Je suis une éponge, je m’adapte complètement aux gens qui viennent chez moi. Je verbalise, j’explique à voix haute ce que je fais, je montre l’appareil. Je n’applique pas une formule toute faite, d’une séance à l’autre, ça ne se ressemble jamais. "

Deen

La spécialité de Romyl’autoportrait, souvenir de ses années en tant que modèle devant la caméra. Comme pour la photographe Mathilde Biron, elle aussi d’abord mannequin puis photographe, l’autoportrait est une manière d’expérimenter vraiment librement. Romy tente différentes pratiques sexuelles, laisse libre cours à son imagination, se réapproprie intimement, selon son prisme, la beauté, la féminité, l’homosexualité.
Romy Alizée : " Aujourd’hui, j’aime toujours être devant la caméra, ça n’a pas changé. Ce que je trouve intéressant dans l’autoportrait, c’est le fait d’être son propre outil de travail. Il y a une forme d’engagement, de mise à nu, de mise en danger, cela raconte quelque chose, c’est politique. Mais je ne pourrais pas faire que ça, photographier les autres c’est complémentaire, cela me permet de renouveler mon regard. C’est très difficile de faire des autoportraits, ça peut toujours être raté. J’ai envie d’atteindre quelque chose que je me suis imaginée alors que je ne vais pas pouvoir être derrière l’appareil. Il faut accepter cette part d’inattendu, de hasard, avec le fait de devoir appuyer sur le déclencheur ou de confier le déclenchement à quelqu’un. Et puis, quand je suis dans certaines saynètes un peu sexe, ce n’est pas facile d’en sortir pour vérifier le cadre puis de retourner dans la position. "

Autoportrait avec Marianne

Romy Alizée : " Je n’ai pas fait d’études à part une formation de comédienne, mon corps et mon image sont vraiment mes outils de travail, donc je n’aurais pas pu devenir photographe et me mettre complètement de côté. Cela aurait été nier ce que je voulais faire à l’origine, car jouer, ce sont mes premières émotions. Et puis forcément, quand tu aimes jouer, tu as aussi envie d'être regardée… Donc poser c’est assez proche aussi. Dans tout ça, on retrouve mon amour du cinéma, j’ai un goût pour la mise en scène. C’est ma passion du cinéma qui fait que ce que j’écris, mes performances, sont souvent très cinématographiques. Chaque projet pourrait être un film, et c’est pareil pour mes photos. D’ailleurs, je les vois souvent comme des affiches de films. "

Photo extraite du court-métrage "Romy & Laure... et Le Secret de l'Homme Meuble

Romy Alizée : " Quand j’ai commencé à faire les films Romy & Laure avec Laure Giappiconi, c’était génial, parce que d’un coup c’était faire des photos, mais pour en faire un film. Toutes mes compétences étaient au bon endroit. Sans même savoir faire un film concrètement, en apprenant et en progressant. On vient de finir le troisième film ensemble, et c’est cool de se voir devenir un peu pro. Quand tu n’as pas étudié l’art, la seule chose à faire c’est d’être curieux.se, d’aller au cinéma et d’ouvrir des livres. Ma culture de l’image me sert énormément. "

Films "Romy & Laure” 

Toutes les photographies de Romy, sauf ses portraits commandés pour Libération, sont en noir et blanc, réalisées à l’argentique. Autre trait de caractère commun, la manière dont posent les modèles : toujours le regard fixe, fier, face caméra, et ce même " non-sourire " sur le visage.
Romy Alizée : " En noir et blanc, c’est comme ça que je vois mes images dans ma tête. J’aime beaucoup les vieilles photos et j’aime l’idée que mes images ne soient pas documentaires, qu’on ne sache pas exactement la date à laquelle le portrait a été pris, 2010, 2020… J’aime bien ne pas représenter une réalité, ce n’est pas ma vraie vie ou ma sexualité du quotidien, ce sont des prolongements, des réminiscences de mes rêves, des choses dans ma tête que je matérialise. "

Léon

Romy Alizée : " Je voulais qu’il y ait un point d’ancrage dans mes images, un endroit qui te chope, c’est la raison de ce « non-sourire » de mes modèles et de leur regard face caméra. C’est autre chose que d’être en train de regarder le ciel la bouche ouverte. Je ne voulais pas que dans mon corps il puisse transparaître de la séduction, ça ne m'intéresse aucunement, de minauder, de séduire. Pour la toute première photo, j’étais assise sur un copain, et j’ai eu envie de ce regard. C'était une manière de toiser, un manifeste et non une photo érotique. Et c'est comme ça que j’ai trouvé cette sincérité, sans surjouer ou trop appuyer. Ça laisse l’interprétation ouverte : est-ce que tu trouves ça excitant ou super drôle ? Moi je trouve tout drôle. C’est comme pour les titres de mes photographies, Fem d’intérieur au temps du réchauffement climatique, Sainte-Agathe, mère des Gouines... L'humour est une des composantes de ma vie, ce qui ne veut pas du tout dire que je me fiche de tout, mais c’est mon remède. "

Plaisir d'offrir

On remonte le temps ensemble encore un peu plus loin, pour comprendre la naissance de cet intérêt viscéral pour le corps, le sexe. La naissance de cette vocation de tout montrer, enfin.
Romy Alizée : " Depuis toute petite, j’ai toujours beaucoup pensé à la sexualité, avec tout ce que ça représente : quelque chose à cacher, quelque chose de honteux… Ce qui a déclenché l’exact inverse chez moi : l’envie de toujours voir. Je suis une personne très sexuelle, mais j’ai aussi compris à un moment que c'était vraiment mon endroit, je suis née pour faire l’amour, et ce n'est pas qu'intellectuel. C’est pour cette raison que j’ai fait du porno, par besoin d’aller loin. Et puis, je voulais aussi faire du travail sexuel, et on peut dire que mes photos c’est du travail sexuel. Dans le sens où je fais à répétition des saynètes pornos. Le sexe est toujours présent. "

La joie de Mila

Romy Alizée : " J’ai toujours eu du mal avec les images de séduction. Je voyais que les images faites par des femmes étaient toujours dans la suggestion, elles ne s’autorisaient pas du tout le côté porn. Je restais un peu sur ma faim. Je me suis dit que j’allais faire des photos plus pornographiques que tout ce que je voyais. Sans barrières. J’ai aussi trouvé les bonnes artistes sur ma route pour me confirmer que ça se faisait, que je n'étais pas à côté de la plaque, des artistes comme Cosey Fanni Tutti ou Carolee Schneeman. J’aime ce qu’elles représentent, et cette idée de pouvoir être plusieurs choses à la fois dans la vie. Cosey Fanni Tutti est musicienne, pas que créatrice de photos érotiques, pas que strip-teaseuse… 
Aujourd’hui, c’est toujours difficile de montrer des choses très explicites. Ce n’est pas forcément un choix stratégique pour ma carrière, mais c’est aussi ça qui m’a fait un peu connaître. Mais je sens que je dois encore faire mes preuves. "

Variation autour de la Parisienne, pour Gaze.S, 2022

Romy Alizée : " Dans mon milieu familial, patriarcal et ouvrier, penser à sa sexualité, c’était être une pute. J’ai commencé un peu n’importe comment, et j’ai été rejetée. J’ai voulu faire du porno très jeune, des photos, mais j’avais honte. C'était toujours un pas en avant, un pas en arrière. J’ai souvent parlé de la censure subie, mais cette censure, ce n’est pas que sur les réseaux : tu envoies ton dossier, tu comprends à la tête des gens que ça ne va pas fonctionner… J’ai aussi reçu des retours hallucinants sur mon travail après des performances. Des critiques qui me méprisaient, parce que je suis une femme qui utilise sa sexualité et son corps pour faire de l’art. On veut nous faire croire qu’on y a été poussées, et qu’en plus on ne fait pas preuve d’inventivité dans l’exercice. Alors que ce n’est même pas facile ou stratégique de le faire, il y a vraiment d’autres moyens de se retrouver en tête des Rencontres d’Arles (rires). Cela flirte parfois avec le mépris de classe : je n’ai pas fait d’études, je ne suis pas parisienne, et je fais du porno… "

Bergère 4 Bergère

Romy Alizée : " Pour la censure sur Internet, je m’adapte. Je cherche à m’éloigner des écrans, et je crois que ça m’aide aussi à me dire que si un jour ça s’arrête, je ferai autrement. Il faut peut-être qu’on arrête de se dire qu’on ne peut pas être artiste sans les réseaux sociaux. C’est sûrement très difficile, mais pas impossible, on se rend beaucoup trop dépendant avec. Ça me donne aussi envie de faire d'autres choses, écrire, un livre… "

Dominique

Romy Alizée : " Dans ma progression artistique, il y a aussi eu le fait de réaliser mon coming out lesbien. Je n’étais pas hétérosexuelle avant, j’étais bisexuelle, j’avais déjà eu des copines avant mes trente ans, mais ce coming out lesbien est vraiment passé par la photo. Je photographiais beaucoup de garçons en meubles, ce qui racontait quand même quelque chose. Et puis, petit à petit, ils ont été remplacés, ils ont disparu. Avant, je n’avais jamais vécu de grande histoire avec une meuf. Les scènes que j’ai créées dans la deuxième partie de mon travail sont une manière de montrer comment on fait quand on n’a pas eu les codes, quand on est n’est pas née lesbienne et qu’on apprend en regardant. Quand on manque d’images, il faut les créer. À un moment, j’ai fouiné et je suis tombée sur beaucoup de photos gay, mais aucune photo lesbienne. Il n’y avait rien en librairies à Paris. Il fallait quand même qu’on en fasse, que ça existe, qu’on puisse se nourrir de ça. "

Bérangère Fromont 

Romy Alizée termine la conversation en nous recommandant vivement le travail de son amie photographe Bérangère Fromont (lien dans l'image) : " Nous nous sommes rencontrées il y a quelques années et j'avais déjà été touchée par son travail sur les révoltes à Athènes, moi qui suis franco-grecque. Son dernier projet (auquel j'ai participé), sur la résistance et les lesbiennes est aussi beau et sombre qu'il est politique. " 

Bérangère Fromont 

Quant à nous, nous ne pouvons que vous recommander d’aller vite suivre Romy Alizée sur ses réseaux - où elle vous expliquera tout sur le tournage d’un film porno éthique - en attendant sa prochaine expo, et de vous abonner également à sa newsletter (oui, oui, Romy est sur tous les fronts). Vous pouvez notamment découvrir celle-ci, sur le sujet de portraits de commande, et puis lire et relire cette tribune sur la censure du net, pour prolonger les réflexions soulevées dans cet article et continuer à vous nourrir. 

Putes sur le ring